Pueibrau
Il faut d’abord indiquer que ce lieu-dit fait difficulté car il est attesté sous plusieurs formes. La forme actuellement enregistrée Pébrau ou Peybraud 1 semble une adaptation de [pøi’bʁau], mais je n’en connais que la prononciation francisée qui est [pi’bʁɔ] 2. Par ailleurs, le cadastre napoléonien donne ‘peÿberaud’ et ‘peirabau’ 3, ce qui ouvre un doute sur l’ancienneté de la forme actuelle. Cette réserve étant prise, je vais cependant prendre pour hypothèse que l’attestation actuelle est fiable, tandis que la présence de deux formes incompatibles entre elles dans le cadastre napoléonien fragilise la confiance qu’on peut accorder à ce témoignage, il peut s’agir de tentatives d’interprétation4.
Je crois qu’il faut voir deux éléments, puèi et brau. Puèi est « puy » (lat. podiu), brau pourrait venir du mot celtique bracu, qui en zone occitane a pu donner deux formes, brac ou brau.
Le Französisches Etymologisches Wörterbuch indique que bracu signifiait « boue » (I, 489 a-b). Lou Tresor dóu Felibrige 5 donne brau avec le sens de marécage. Par ailleurs, l’évolution régulière de bracu en français suppose qu’il soit devenu « brai, bray » 6, or ce mot « brai » existait effectivement avec le sens de terrain humide, de terre grasse, et reste dans des toponymes comme Pays de Bray, etc. L’italien a brago « boue, bourbier, marécage »
Notre Pueibrau serait ainsi le « puy du terrain boueux », ou le « puy du marécage ». A l’endroit précis, maintenant dénommé Pibro, on trouve effectivement le relief localement typique d’un puy, avec une zone surélevée, fortement érodée, pierreuse, sèche, à la végétation pauvre, où des pins ont poussé en abondance. Cette configuration forme une enceinte entourant une prairie, laquelle se présente comme une cuvette ouverte sur le côté sud par un rebord abaissé, légèrement en surplomb du lieu nommé Les Sagnes. Le cadastre napoléonien y ajoute un espace désigné ‘la mola’ ou ‘la molas’, c’est-à-dire Las Mòlas (terrains humides, marécageux). On aurait donc ici juxtaposition de plusieurs termes qualifiant des terrains humides, mòla, brau, sanha.
- Pébrau pour IGN, Peybraud dans le cadastre rénové de 1976 de la commune des Villettes, section AH ↩︎
- La prononciation de puèi est [pɛi] dans notre patois, mais en devenant atone dans le mot composé Pueibrau, elle a abouti à [pøi] voire [pi], tout comme ‘Peybessou’ est prononcé « pibessou ». ↩︎
- ‘Garaÿ de peirabau’, cadastre napoléonien de Sainte-Sigolène, section L, parcelles 177 à 184 ; ‘peÿberaud’, parcelles 189 à 193, passées en section B du cadastre des Villettes après constitution de cette commune en 1860. ↩︎
- Il y a cependant un ‘Puy Beraud’ au Mayet de Montagne (03), un ‘Puybaraud’ à Saint-Jouvent (84). ↩︎
- Lou Tresor dóu Felibrige: Ouvrage de Frédérique Mistral, publié en 1886, et sous-titré « Dictionnaire provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d’oc moderne ». Il collecte en 2 370 pages une très grande quantité du vocabulaire de langue occitane. ↩︎
- On remarquera que lacu a donné « lai, lay » en zone française et francoprovençale, lac ou lau en zone occitane (le mot « lac » du français moderne est un emprunt à l’occitan). A côté du lac de Saint-Front, nous avons un lieu nommé « bois de l’eau » qui est en réalité le bois de lau, c’est-à-dire le bois du lac. Tout proche de ce lieu, on remarque un village nommé Montbrac, autre attestation du doublet occitan brac et brau. ↩︎
